Hugues Reip

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AURA
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Aura, 2024
Neons lights, variables dimensions - ©Annik Wetter
 
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Vues de l'exposition Aura
La Chapelle-espace d’art contemporain, Thonon-Les-Bains, France.
Pôle culturel de la Visitation
30 mars - 26 mai 2024

Hugues Reip, Aura

   Inscrite dans le cadre de la programmation 2023-2024 dont le thème générique est « L’éclectisme & l’hybride », l’exposition que consacre La chapelle de la Visitation à Hugues Reip est l’occasion de découvrir la démarche d’un artiste qui en appelle aux formes et aux protocoles les plus inattendus. Son art relève d’une esthétique qui remet en question la nature et le statut de l’œuvre d’art dans cette liberté acquise au cours du XXe siècle avec l’avènement des avant-gardes et qui caractérise plus particulièrement la post-modernité. A l’œuvre, Hugues Reip est sensible à révéler un monde autre, souvent fabuleux, qui interroge notre regard et participe à augmenter notre propre imaginaire.
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   Voir et donner à voir : on pourrait ainsi définir la fonction de l’artiste et, dans cette double dynamique, prendre la mesure des moyens auxquels il recourt pour constituer un ensemble d’actions et de formes qui actent son être au monde. D’une époque à l’autre, d’une culture à l’autre, les propositions sont infinies, l’histoire de l’art n’ayant jamais cessé de se nourrir de l’esprit d’invention. Sans doute est-ce cela même qu’il faut attendre d’un artiste : qu’il bouscule les attendus et les conventions, qu’il surprenne le regardeur – celui auquel il lui donne à voir – et ne le laisse pas indemne. En cela, Hugues Reip appartient à cette catégorie de « magiciens de la terre » - comme une exposition en a célébré jadis le pouvoir quasi-démiurge.

  Polymorphe, son œuvre explore toutes les formes d’expression plastique : dessin, peinture, sculpture, vidéo, installation, etc. et sa démarche mêle réflexion et fantaisie en quête d’une poétique dont surprise et émerveillement sont les vecteurs directeurs. Quelque chose de ludique y est aussi à l’œuvre qui nous invite à découvrir le monde autrement. Ainsi, quand il a découvert la chapelle de la Visitation, l’artiste a tout de suite été frappé par la présence des vitraux et la façon qu’ils ont de diffuser une lumière colorée qui balaie l’espace en fonction de la course du soleil. Dans le même temps, son attention a été très vite attirée par le dispositif de suspensions luminaires qui chapotent l’ensemble de la nef et permettent d’inonder celle-ci d’une lumière étale et non ponctuelle.

  Lumière, couleur et espace, en quelque sorte. Ce sont là les ingrédients favoris avec lesquels Hugues Reip aime à composer. Dans les lieux où il opère, l’artiste se plaît à en transformer la perception ordinaire qu’on en a en concevant son intervention en toute intelligence sensible avec l’existant. À la chapelle, l’idée lui est aussitôt venue de modifier le système d’éclairage, en faisant descendre les luminaires au plus bas possible, en recouvrant certains des tubes de néon d’une gélatine colorée – jaune, rouge, bleu ou vert - et en disposant ici et là, sur les murs, un ensemble de miroirs parcourus de motifs abstraits. Ce faisant, il subvertit l’ordonnance spatiale de la chapelle et élabore en toute liberté de diffusion lumineuse et de réflexion miroitante un dialogue avec les vitraux. Bref, il nous invite à la découvrir dans un jeu kaléidoscopique en rapport à notre déambulation. D’emblée, le visiteur est perturbé par l’éclairage qui n’enveloppe plus l’édifice dans sa plénitude architecturale mais parce que les luminaires abaissés, forment comme une aura lumineuse au-dessus de nos têtes.

  Par-là, la démarche de Hugues Reip s’inscrit à l’aune de celles d’artistes comme László Moholy-Nagy et son Modulateur-Espace-Lumière (1930) ou Dan Flavin et ses installations de tubes de néon coloré. Il y va chez lui d’un soin duel, partageant avec ses aînés, d’une part, la volonté d’inviter le spectateur à faire une expérience sensorielle, fondée sur la phénoménologie de la perception ; de l’autre, d’un simple jeu, adossé à l’idée de provoquer en lui quelque chose d’une déstabilisation, afin de l’interroger dans ses habitudes. Minimale, l’intervention de l’artiste dans la nef s’offre à voir inversement proportionnelle aux moyens mis en œuvre et l’effet surprenant qu’elle produit rappelle cette fameuse phrase du grand architecte-designer qu’était Ludwig Mies van der Rohe : « Less is more » (Moins c’est plus ). L’art de Hugues Reip est requis par une économie qui recourt à des matériaux communs, voire rudimentaires ; il instruit une esthétique du peu et du discret, à la lisière d’une légèreté, qui réfute toute théorie et accorde à l’intuition et au merveilleux une place de choix.

   Hugues Reip ne raconte jamais aucune histoire. Son art n’en appelle pas au récit. Il crée des situations ponctuelles qui nous entraînent en un ailleurs sans nom. Un ailleurs innommable, enchanteur et festif. C’est là le point commun entre toutes ses propositions plastiques, comme il en est notamment de ses expériences cinématographiques – ou plutôt filmiques. Son « cinéma » est fait pour l’essentiel de courts films d’animation qui sont parfois des hommages à certains figures pionnières, tels Norman McLaren, Oscar Fischinger ou Len Lye. Il a notamment réalisé un petit film intitulé Fantaisie qui est composé des dessins de Georges Méliès et ne cache pas son admiration pour la première version de King Kong de Cooper et Schoedsack (1933) : « Un univers extraordinaire, une île qui n’existe pas, une histoire d’amour qui n’existe pas, des trucages incroyables... »

  A Thonon, le programme de vidéos qui est présenté dans la salle des Sœurs invite le visiteur à la découverte d’un aspect spécifique de son travail filmique qui joue non seulement de toutes sortes d’effets optiques et chromatiques mais questionne la fabrique même de la création d’une image en mouvement. Ici, Hugues Reip exploite la fonction « fast forward » qui permet d’accélérer un film, en déplaçant sous l'objectif de la caméra une série de dessins imprimés sur transparents – FFWD (1999) ; là, il crée un dessin animé numérique, composé de points colorés semblables à des planètes en rotation – Overdrive (2002), laquelle est accompagnée de la diffusion sonore de Robby, Make Me a Gown par Louis and Bebe Barron.

  C’est que l’artiste – qui fait aussi de la musique et joue parfois en concert avec Rodolphe Burger - travaille avec soin la bande son de ses vidéos. Feedback (1998) qu’il définit comme « un larsen visuel » en est une parfaite illustration. Créé par Edwin H. Armstrong en 1913 pour désigner un système de régénération d'un signal sonore, le terme de feedback caractérise ici l’effet produit lorsqu'une caméra vidéo est braquée sur un moniteur et que l'écran diffuse sa propre image à l'infini. Comme une cosmogonie visuelle et sonore. Dans la même salle, bénéficiant de la pénombre, Hugues Reip a installé une œuvre faite de peinture et de plastique thermo ramollissant et phosphorescent, Underwater Moonlight (2011). Une sorte de paysage miniature, autant inattendu qu’impensable, qui surgit là, invitant à la réflexion sur notre rapport à la nature et à notre environnement.

  Curieux de tous les matériaux et de toutes les techniques qui s’offrent à lui pour inventer de nouvelles formes et d’infléchir la perception du regardeur face à ses oeuvres, Hugues Reip n’a de cesse de multiplier ses recherches. L’ensemble de pièces exposées dans la dernière salle de la chapelle de la Visitation – de la série FLIP/FLAP (2003) - se présentent sous la forme de réseaux lenticulaires à effet d'animation sur plastique. Suivant un effet holographique, ceux-ci déclinent tout un monde de sphères sur fond noir, explosant ou se dispersant devant le spectateur, en fonction de son angle d'approche. Ce dernier participe ainsi à l’instruction d’un univers dont la figure de l’aura – cette sorte de halo advenu on ne sait d’où – est la figure récurrente. Il y va d’une fantaisie et d’une poétique de l’hybride qui n’a d’autre objectif que de nous surprendre. Le monde de Hugues Reip est totalement décalé et c’est cela qui fait son enchantement.

Philippe Piguet,
commissaire de l’exposition