Hugues Reip

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LES ÉLÉMENTS, 2024
Botanique
 
Botanique
L'air, 2024
Bois de frêne, cristal, dimensions variables.
Botanique
 
Botanique
La terre, 2024
Bois de frêne, bifaces en silex du Vexin, dimensions variables.
Botanique
 
Botanique
L'eau, 2024
Bois d’épicéa, fossiles de bivalves (Lopha Gregarea), dimensions variables.
Botanique
 
Botanique Fire
Le feu, 2024
Fulgurite, dimensions variables.
Botanique Fire
 
Vues de l'exposition Botanique des imaginaires, Abbaye de Saint Germain d'Auxerre, France.
Du 15 juin au 3 novembre 2024
Exposition en partenariat avec le Centre Pompidou.

Hugues Reip, Paysages magiques

« Je crois que mon appétence pour les micro‑univers vient d’un goût pour la contemplation de l’infiniment petit dans la nature et de la littérature. Regarder sans bouger un monde en mouvement. Il est donc question de faire appel à l’imaginaire au cœur même de la réalité ». HR

Collectionneur de minéraux et d’herbiers, Hugues Reip est un façonneur de mondes et de créatures fantastiques. Puisant dans les univers des sciences naturelles et du merveilleux hérités du 19e siècle, ses œuvres redonnent à l’imaginaire sa puissance créa‑ trice et nous invitent à réinventer le regard que nous portons sur les choses qui nous entourent, aussi infimes soient‑elles. Dans les compositions de l’artiste, cristaux, fossiles et végétaux se combinent en diffé‑ rentes strates pour donner vie à une faune et une flore à l’anatomie étrange et poé‑ tique. Pour les quatre tableaux imaginés pour cette exposition, Hugues Reip joue sur les ruptures d’échelles et les rencontres formelles inattendues pour produire d’im‑ portants effets de déréalisation. Dédiés aux quatre éléments, l’eau, le feu, la terre et l’air, chacun de ses paysages fictionnels, intitulés Éléments, sont le lieu d’invention d’une bo‑ tanique dans laquelle le végétal se mêle au minéral, le vivant à l’inerte, le rationnel à l’irrationnel. Tel un jardinier féru d’alchimie et de pensée magique, il crée de toute pièce un monde naturel réenchanté. À l’abri des arches de la galerie du cloître de l’Abbaye, ces morceaux de jardin halluciné, dans lequel pousse l’invraisemblable, opèrent comme des lieux de passage, des seuils, entre différents mondes et états sensibles. Dans le droit fil de la tradition surréaliste, celle initiée par Max Ernst et Joseph Cornell, Hugues Reip donne à ses paysages hybrides l’apparence de rêves matérialisés.


Entretien Hugues Reip
 avec Jonathan Pouthier & Inés Vázquez Messano


« Si l’on se promène dans les forêts, et que l’on regarde avec obstination par terre, alors on découvre sûrement un tas de choses belles et merveilleuses. Si tout d’un coup on regarde en l’air, on reste accablé devant la révélation d’un autre monde » a écrit Max Ernst. Les quatre paysages que vous avez imaginés pour cette exposition semblent reprendre au pied de la lettre cet exercice du regard énoncé par l’artiste surréaliste. Est‑il possible de les envisager comme une sorte d’interface entre la part visible du monde et sa part magique ?

Hugues Reip
Je suis un grand admirateur de Max Ernst et notamment de ses forêts pétrifiées, où le minéral et le végétal ne forment plus qu’un seul règne. Je ne connaissais pas cette citation mais elle est très belle et rend bien compte de la façon dont il envisageait l’univers. De l’infiniment petit au terriblement grand. Il parle même « d’accablement » devant la révélation d’un autre monde. En 2008, j’ai organisé une exposition au Musée d’art contemporain de Tokyo intitulée Parallel World [monde parallèle] dans laquelle, en regard de mon propre travail, j’avais invité des artistes Japonais et Français à dialoguer sur ce thème. Les japonais appellent cette perméabilité entre le monde réel et imaginaire le yokaï. C’est un concept que j’aime beaucoup. Je suis un peu comme Alice, je navigue en divaguant.

JP & IVM
Que peut‑on voir à l’œil nu ?

HR
Il semblerait que les plus petits objets visible à l’œil nu soient les bactéries. Mais au sens surréaliste du terme, votre question pourrait évoquer la vision d’un œil déshabillé d’a priori, lui permettant de voir l’invisible.

JP & IVM
Quel rapport entretenez‑vous avec vos univers ? Devons‑nous les parcourir du regard comme des tableaux, des sculptures, ou bien y laisser vagabonder notre imaginaire comme on le ferait au milieu d’une forêt ou d’un jardin ?

HR
J’évoquais Alice de Lewis Carroll précédemment, mais je suis également un grand fan du Gulliver de Jonathan Swift. Ces deux personnages ont la capacité étrange de grandir ou rapetisser et d’envisager le monde avec cette faculté. Je crois que mon appétence pour les micro‑univers vient d’un goût pour la contemplation de l’infiniment petit dans la nature et de la littérature. Regarder sans bouger un monde en mouvement. Il est donc question de faire appel à l’imaginaire au cœur même de la réalité.

JP & IVM
Vos paysages donnent naissance à une faune et une flore où les fleurs factices, les fossiles, les silex, ou encore les arbres fusionnent pour donner naissance à un monde magique et poétique. Pouvons‑nous considérer que cette nature représente un moyen de passer de la réalité au rêve ?

HR
Lucien de Samosate, en rédigeant au 2e siècle de notre ère le tout premier texte de science‑fiction connu, relatait les voyages de l’auteur au‑delà des mondes envisagés. Il puisait dans la mythologie, l’absurde, l’affabulation, l’impertinence et intitulait paradoxalement son ouvrage Histoire véritable. Mes œuvres contiennent souvent une part d’onirisme et construisent un espace de réalité fantasmée.

JP & IVM
Le changement d’échelle est un mouvement qui revient souvent dans vos œuvres. Qu’est‑ce qui vous pousse à faire ce saut ? Retrouvez‑vous l’infiniment grand dans l’infiniment petit ?

HR
Il est probable qu’une comète, ou une pluie de celles‑ci, soit à l’origine de la vie sur terre. Le télescopage de deux cailloux en quelque sorte. L’idée de choquer l’un contre l’autre deux silex pour en faire jaillir une étincelle serait‑elle le souvenir de cette énorme percussion originelle ? Ces deux événements fondateurs pour l’humanité provoquent la même révolution à deux échelles radicalement différentes.

JP & IVM
Pourquoi avoir dédié chaque tableau à un élément : l’eau, le feu, l’air, et la terre ?

HR
Je crois que j’ai besoin d’une idée directrice pour me mettre au travail, qu’une forme de cohérence préside à la diversité de mes propositions. Ici poussent des feuilles minérales sur les branches des arbres, évoquant de manière très métaphoriques les quatre éléments ; des bifaces pour la terre, des fossiles marins pour l’eau, des sphères de cristal pour l’air et des fulgurites pour le feu.

JP & IVM
Vous avez choisi de répartir vos micro‑mondes aux points cardinaux du cloître de l’Abbaye, un lieu conçu comme une interface entre le ciel et la terre, entre le visible et l’invisible. Les visiteurs sont invités à déambuler pour recomposer mentalement ce paysage fantastique. Pensez‑vous qu’un fragment peut se donner à voir comme une totalité ?

HR
La visite des lieux d’expositions est toujours déterminante pour moi. Le fameux genius loci [un esprit protecteur des lieux dans la croyance romaine]. Si les pièces ne sont pas préexistantes et que j’ai la chance de pouvoir d’intervenir in situ, je pars toujours de cette observation. Les coursives ont fait germer l’idée d’installer quatre sculptures aux quatre côtés du cloître et de travailler sur les quatre éléments. Et puis, je suis né un quatre avril [rires]. Bien sûr, j’aimais l’idée de déambulation et que l’on ne verrait pas les quatre installations en même temps. Il est donc encore question de voyage immobile.

JP & IVM
Vous avez décidé de travailler avec les pierres de taille du toit du cloître. Elles sont comme la toile de fond minérale de vos tableaux. Ce geste de réemploi, mais aussi de renversement, pourrait évoquer celui de retourner une pierre au sol : un moment de découverte d’un monde jusqu’alors dissimulé. Ces pierres sont‑elles des espaces de révélation ?

HR
Les larges pierres de calcaire qui couvrent la coursive du cloître sont en cours de remplacement et j’ai pu utiliser quatre d’entre elles pour m’en servir effectivement comme une toile de fond horizontale sur laquelle reposeraient les arbres précédemment décrits. Je me rends compte en les évoquant qu’ils sont aussi comme des gisants…

JP & IVM
Vos œuvres intègrent à la fois des éléments vivants et non‑vivants. Vos assemblages fixent le naturel et à la fois lui insufflent vie, en créant des relations insolites entre leurs composants. Pourriez‑vous nous expliquer comment vous conceptualisez ces assemblages ?

HR
Les sculptures récentes, ces hybridations, ces natures mortes ou plus précisément comme elles sont appelées en anglais ces still life [vies immobiles] sont nées pendant le premier confinement. J’avais la chance d’être à la campagne mais n’avais pas ou peu de matériaux à ma disposition pour travailler. J’ai renoué très naturellement avec les gestes de mon enfance à la montagne, chercher des cailloux, tailler des morceaux de bois, faire des collages et des assemblages. Ce qui était par le passé un remède à l’ennui est devenu aujourd’hui la réminiscence de merveilleux moments d’insouciance.