Hans Ulrich Obrist
Je voulais te demander comment tu avais commencé, s’il y avait eu une sorte d’épiphanie, une révélation, une sorte de vocation d’artiste, ou si c’était un processus graduel.
Hugues Reip
C’était, je pense, assez graduel. Je me suis inscrit aux beaux-arts car pour moi c’était comme une porte de sortie, j’étais très mauvais à l’école. En même temps je sais que l’art me passionnait. Sans éviter le lieu commun, j’ai toujours dessiné, depuis tout petit. Le fait d’arriver aux beaux-arts était pour moi une espèce de… oui… de solution. Ensuite, durant mes études, cela s’est révélé de manière plus précise, mon désir s’est affirmé.
HUO
Si tu devais faire un catalogue raisonné, où est-ce que tu commencerais le travail ? Avec quelles pièces ?
HR
C’est justement ce dont il s’agit en ce moment. Ce n’est pas vraiment un catalogue raisonné, mais c’est un ouvrage qui couvre une vingtaine d’années de travail et je débute avec des pièces qui datent de 1990 et qui sont de toutes petites sculptures faites de manière quasi spontanée avec des matériaux que j’avais à portée de main (clou, gomme, papier, mie de pain…). Il y en avait 250, et la seule fois où j’ai montré cette série entière, c’était dans une chapelle désaffectée, à Sète, lorsque j’étais en résidence à la Villa St Clair.
HUO
À ce moment-là, quels sont les artistes qui t’ont inspiré ?
HR
J’étais assez attiré par les gens qui avaient une pratique rudimentaire… Comme je travaillais sur des objets de petites dimensions, il est vrai que j’ai regardé des artistes qui avaient cette fragilité de travail au départ. J’ai en tête l’anecdote à propos d’Alberto Giacometti qui, ne disposant pas d’atelier pendant la guerre, réalise des sculptures semis pouvant se ranger dans une grosse boîte d’allumettes. Ou encore le cirque de Calder, les sculptures de Richard Tuttle…
HUO
Et à partir de ces petites sculptures, comment évoluera ce catalogue ? Peux-tu m’en dire un petit peu plus ? Sur ta relation au dessin notamment ?
On voit derrière toi un dessin avec des yeux, enfin je sais pas si c’est un dessin…
HR
C’est le contour de la carte de l’Afrique avec deux yeux effectivement… le nom de Picasso à la place du nez et le mot Africa faisant office de bouche.
HUO
Et qui a fait cette pièce ?
HR
Walter de Maria.
HUO
C’est un dessin ?
HR
Non, j’aimerais bien… mais c’est une lithographie.
Mais pour revenir à ma relation au dessin, le carnet est un peu mon atelier. C’est un endroit où je consigne des idées, des improvisations, des ébauches de pièces, la genèse des formes… mes pièces ont souvent le dessin comme origine.
HUO
Il y aura dans le livre quelques-uns de ces dessins ?
HR
Oui, je pense inclure un cahier de dessins des débuts et un second très récent.
HUO
Tes dessins sont toujours au format du carnet ?
HR
Il est assez rare que je fasse un dessin avec des dimensions précises, mais je reste souvent dans un format à l’échelle de la main. Il m’arrive de détacher certaines pages que j’expose, mais généralement, c’est plutôt une sorte de laboratoire.
HUO
À part le dessin, il y a aussi ton travail sur le son, parce que l’on s’est rencontré à travers ces deux mondes différents…
Ton travail d’artiste plasticien et également ton travail de compositeur, d’inventeur de bandes-son si on peut dire. Comment ça a commencé ? C’était décalé par rapport au début, quand tu faisais ces petites sculptures ?
HR
C’était assez décalé… c’est le moins qu’on puisse dire.
HUO
Déjà le son ?
HR
Les petites sculptures étaient une forme de bricolage. J’ai commencé à faire de la musique un peu de la même manière, en bricolant. J’en faisais avant même de rentrer aux beaux-arts. J’avais un groupe de rock dans les années 80 qui s’appelait Nova Express avec lequel j’ai fait plusieurs concerts avec deux, trois rencontres assez incroyables, dont celle de Johnny Thunders.
HUO
C’était de la musique électronique ?
HR
Non plutôt rock. Cette pratique du son ne m’a pas vraiment quitté, avec des intermèdes plus ou moins longs. Aujourd’hui je continue à jouer avec mon ami Jacques Julien avec lequel nous avons fondé SPLITt. La musique est donc toujours en filigrane dans mon travail.
HUO
Quelles sont tes influences dans la musique ?
HR
J’ai beaucoup écouté les Tinklers. J’écoute beaucoup de musiciens que l’on pourrait qualifier d’outsiders au regard de l’industrie musicale. Sexton Ming, Chris Knox, Dennis Driscoll, Stephen Tunney… des gens qui ont amené une position singulière dans la musique avec un son très particulier, pas très propre.
HUO
Quel est ton son préféré ?
HR
Je crois que c’est l’orage… le tonnerre.
HUO
Et que tu redoutes ?
HR
Un train qui passe dans une gare sans s’arrêter ou une mobylette sans pot d’échappement.
HUO
Ta couleur préférée ?
HR
Euhh… en ce moment le orange, la couleur de la vitamine C.
HUO
La couleur que tu n’aimes pas ?
HR
Il n’y a pas de couleur que je n’aime pas.
HUO
Dans ce livre on va retrouver tes dessins, ton travail de plasticien. Est-ce qu’il y a aussi des écrits ? Est-ce que tu écris ?
HR
J’ai fait des tentatives d’écrire de petites nouvelles mais ce n’était pas très concluant, je ne pense pas le faire apparaître, les personnes qui vont écrire dans cet ouvrage sont bien plus à la hauteur que moi.
HUO
C’est ton premier grand livre. Je connais ton goût pour le graphisme, est-ce que tu vas travailler la maquette ?
HR
C’est en grande partie pour cela que je travaille avec Jacques Fournel des éditions Villa St Clair. Nous avons une grande complicité, nous prenons les décisions ensemble. J’aurais pu effectivement demander à un graphiste de réfléchir à la maquette, mais comme tu viens de le souligner cela m’intéresse d’avoir cette partie à construire aussi.
HUO
Tu as déjà fait des livres avant ou c’est le premier ?
HR
Non, j’en ai fait plusieurs, mais pour la plupart, ce sont plutôt ce que l’on peut appeler des livres d’artiste.
HUO
Donc le livre joue un rôle.
HR
Oui, c’est un objet que j’aime beaucoup.
HUO
Et Lawrence Wiener ?
HR
Oui, bien sûr… Il y a aussi Ed Ruscha évidemment, ou Ettore Sottsass qui a fait de très beaux livres également.
HUO
Je voulais savoir à quel point le commissariat entre dans tout ça. Est-ce qu’il y aura dans le livre un chapitre sur « Hugues Reip Curator » ?
HR
Non, je ne crois pas. En fait le commissariat se fait de manière un peu empirique, c’est-à-dire que, si je me réfère à l’exposition de Tokyo en 2008, la conservatrice du MOT Museum m’avait proposé dans un premier temps une exposition personnelle. J’ai eu envie de l’augmenter par d’autres présences, de proposer un univers où je convoquerais quelques artistes français et japonais qui, il me semble, pouvaient entrer dans la thématique que j’avais mise en place : Parallel Worlds.
Je ne sais pas si le fait d’inviter d’autres artistes faisait de moi un commissaire. C’était plutôt l’occasion de faire se coaguler plusieurs énergies. Il y avait également un cabinet de curiosités dans lequel il y avait des gravures de Grandville, d’Émile Bayard, des estampes japonaises de Kuniyoshi et Hiroshige et différentes choses d’anticipation du début du siècle dernier. C’est d’ailleurs étonnant de voir les communautés d’esprit entre toutes ces œuvres d’univers géographiques si différents.
HUO
As-tu fait d’autres expositions en tant que commissaire ?
HR
J’en ai fait une, il y a fort longtemps dans une galerie à Paris, c’était déjà l’idée de réunir. Comme tu le sais, je ne suis pas curateur, si bien que, lorsque je me colle à cet exercice, j’ai plutôt tendance à inviter les gens par proximité. Je n’ai pas ton talent de découvreur invétéré dans ce domaine.
HUO
Et tu peux me dire ce qui te lie à ces artistes ? Parce qu’à Tokyo, il y avait avec toi, Michel Blazy, François Curlet, Roland Flexner, Jacques Julien, Mathieu Mercier, Rei Naito, Daniel Guyonnet, Kohei Nawa, Alain Séchas et Yutaka Sone. Quel est le lien ?
HR
C’est vrai que quand tu déroules la liste comme ça, on voit pas bien… (Rires.)
Déjà, ce sont des gens dont, individuellement, j’aime l’univers. Je les ai ensuite laissés décider quelles pièces présenter. Je pense notamment à Roland Flexner et ses dessins d’encre qui deviennent presque minéraux, à Jacques Julien qui a fabriqué des espèces d’îles très étranges, comme des Kinder géants qui ponctuaient l’espace, à Michel Blazy avec l’apport de tout son univers, de la graine à la pourriture, à Alain Séchas avec ce que j’appelle ces aquarelles de brouillard, très noires… Kohei Nawa et ses boîtes mouvantes servant d’écrins à des animaux empaillés, Daniel Guyonnet et ses reprises de dessins classiques à la mode surréelle, Mathieu Mercier et son morphing de tests de Rorschach, Rei Naito pour une installation massive et fragile, comme une maison de thé hantée, Yutaka Sone pour sa folie et ses cristaux de neige en marbre, François Curlet et ses fulgurances, ses sculptures taillées dans des traits d’esprit. Cette exposition était finalement comme une tentative de figer le fugace.
HUO
Parallèlement, il y a quelque chose que l’on trouve non seulement dans cette exposition, mais que l’on trouve aussi dans ton travail… je pense à l’exposition que j’avais vue à la Galerie du Jour en 2007. Cette exposition personnelle était très liée à ton exposition de groupe. Tu peux me parler un peu plus de ce que tu nommes réalités parallèles ?
HR
Si je peux faire une genèse… ça va peut-être te surprendre, mais il y a un lien avec l’ennui quelque part. Je me souviens par exemple que très petit, ma mère me laissait en vacances chez mes grand-parents à la montagne, ils étaient tous les deux fermiers. Petit, quand tu es confronté à deux adultes dans un grand espace assez sauvage, il y a des moments où tu ne sais pas quoi faire, où il y a une espèce d’ennui qui s’installe.
Je me souviens que cet ennui s’est transformé en une espèce de contemplation, c’est-à-dire que je pouvais rester des heures à regarder simplement une petite feuille trembler au vent, regarder une chenille traverser un champ, regarder des petits cailloux, me plonger dans ces micro-univers. J’ai dû prendre conscience de cet environnement immédiat. Bien sûr on ne va pas passer notre temps à regarder une feuille bouger, mais tout cela s’est cristallisé et j’en suis venu à lire, à lire Jonathan Swift, Jules Verne, et tout ce qui, quand on est jeune, fait appel à notre imagination. C’était resté dans une case de ma mémoire, je crois que ça resurgit un peu maintenant et je tente de lui donner une espèce de formulation. Bien sûr je suis aussi intéressé par toute la vulgarisation scientifique, on en avait déjà quelquefois parlé ensemble. Cette idée de laboratoire, d’esprit, d’idée d’un monde qui est tangentiel au nôtre et qui peut parfois être perméable… je tente de l’enregistrer quelque part.
HUO
Quel est le lien avec le spectateur ? Duchamp dit formellement que le spectateur fait la moitié du travail…
HR
Je ne sais pas, c’est peut-être un peu naïf mais j’aime bien l’idée qu’il y ait une dimension un peu onirique, que toutes les clefs ne soient pas immédiatement données. La plupart de mes œuvres jouent sur un truc de suspension ou d’arrêt sur image. Par exemple, je ne sais pas si tu te souviens de cette pièce en néon représentant un éclair. Ce qui m’intéresse là-dedans c’est de freiner cette décharge électrique phénoménale que constitue l’apparition d’un éclair. Ce n’est pas un hasard non plus si tous mes films sont des animations, où les images sont en suspension de mouvement, comme des bugs temporels.
HUO
Quel serait ton médium si l’on se réfère à ce que Rosalind Krauss appelle une « Post-Medium Condition » ?
HR
J’ai en tête la scène d’un film de Buster Keaton intitulé The Cameraman.
Il est au téléphone avec une fille dont il est amoureux, pour convenir d’un rendez-vous. Après quelques secondes de malentendus, il laisse pendre le combiné, sort et traverse la ville en courant dans un des plus beaux déplacements de l’histoire du cinéma. La caméra suit Keaton en travelling jusqu’à la porte du domicile de sa fiancée potentielle, alors qu’elle pense être encore au téléphone avec lui. Il frappe, elle s’excuse et raccroche. Au moment où elle ouvre la porte, il est là, devant elle… Ici le médium c’est le désir, un raccourci temporel. Cette idée ne me déplaît pas.
HUO
Ça nous ramène au cinéma puisque, comme l’a toujours dit Alain Robbe-Grillet lors de nos nombreuses interviews, si on est romancier, artiste plasticien, scientifique, architecte… peu importe la discipline dans laquelle on est actif, il y a toujours, au XXe siècle, une influence du cinéma. Lui, comme romancier, ne pouvait pas s’imaginer le roman sans prendre en compte l’existence du cinéma. Je me suis demandé quelle était l’influence du cinéma sur toi et si tu avais déjà fait du cinéma, si on pouvait parler des films de Hugues Reip.
HR
Je ne pense pas avoir fait du cinéma dans le sens noble du terme comme pourrait l’être un long métrage diffusable en salles. Mais je pense avoir utilisé des techniques cinématographiques, c’est-à-dire que j’ai fait de nombreux films qui ont tous en commun d’être très courts, souvent des films d’animation, parfois des hommages (souvent à des pionniers : Norman Mc Laren, Oscar Fischinger, Len Lye). J’ai fait un film récemment qui s’appelle Fantaisie et qui est constitué des dessins de Georges Méliès. C’était une production en collaboration avec la Cinémathèque française pour l’exposition Georges Méliès.
Je viens également de terminer un film en hommage à Louis Feuillade où la figure de Fantomas traverse, à 20 cm du sol, les combles du château de Chamarande.
Si je peux établir une relation dans mon travail avec le cinéma, c’est plutôt en passant par ceux qui ont fait des expériences cinématographiques et pas forcément des récits cinématographiques.
HUO
Quelles sont tes influences dans le cinéma ?
HR
King Kong ! Je pense que la première version de Cooper et Schoedsack, en 1933 (même si celle de Peter Jackson est excellente) condense plein de choses. Un univers extraordinaire, une île qui n’existe pas, une bête qui n’existe pas, une histoire d’amour qui n’existe pas, des trucages incroyables pour l’époque, par un de mes héros, Willis O’Brien, qui a animé le singe et travaillé sur des films que j’ai beaucoup regardés, dont The Lost World. King Kong est vraiment pour moi la quintessence de l’expérimentation liée au cinéma grand public.
HUO
D’autres films ? Parce qu’en France il y a évidemment Godard, Resnais, Rohmer, Varda, il y a cette extraordinaire génération…
HR
Bien sûr je connais certains films de ces auteurs, mais de tous ceux dont on peut dire qu’ils étaient la nouvelle vague française des années 60, celui que je pourrais retenir le plus volontiers serait Jean-Pierre Melville.
HUO
On a parlé de tes expositions récentes, de ton curating, de tes commencements mais on n’a pas parlé du tout des années 90. Je voulais savoir si, dans ces années-là, tu faisais partie d’un groupe, d’un mouvement, d’un manifeste… et aussi comment tu as traversé les années 90, quels étaient pour toi les points les plus importants… Quelles sont tes épiphanies des années 90 ?
HR
(Rires.) Dans tous les médiums ?
HUO
Oui… En fait surtout dans les arts plastiques.
HR
Mes acolytes, on va dire, dans cette période sont des artistes comme Didier Marcel, François Curlet ou Michel Blazy par exemple. Mais nous n’avons jamais constitué un groupe. Plutôt une communauté de pensée. Mais il est vrai qu’assez tôt, j’ai regardé des artistes qui n’étaient pas forcément de ma génération. Je pense à des gens que j’aime beaucoup comme Öyvind Fahlström, H.C. Westermann, Gordon Matta-Clark ou Joseph Cornell, entre autres influences majeures. Pour moi les années 90 étaient musicales. C’est à ce moment-là que j’ai articulé mon travail plastique, mais j’avais systématiquement une chanson en tête. J’ai traversé ces années en ponctuant cette bande-son mentale d’objets plastiques.
HUO
Il y aura une soundtrack dans le livre ? Un cd inséré? Des partitions musicales peut-être ?
HR
Pour l’instant ce n’est pas prévu et si tu voyais nos partitions musicales… D’autre part c’est vrai que je n’ai jamais vraiment lié la musique avec mon travail plastique, mis à part certaines bandes-son de films. C’est un peu schizophrène toutes ces activités, mais pour moi il est, par exemple, plus légitime de voir un concert dans un bar avec des bières que dans un cube blanc, mais ça n’engage que moi.
HUO
Comme dit David Deutsch, ce sont des réalités parallèles qui ne sont pas convergentes mais où il y a quand même des tangences. Moi je pense que dans ton travail il y a des tangences, il y a les soundtracks pour les films ou les expositions, il y a l’aspect visuel dans tes concerts, il y a comme des zones de contact pour ainsi dire.
HR
Oui, bien sûr. Mais ce sont plutôt des choses qui se frôlent mais qui ne s’interpénètrent pas vraiment, il y a juste des points de friction entre ces éléments.
HUO
Et si les années 90 ont été une époque où tu avais toujours une chanson dans la tête, aujourd’hui nous sommes en 2010, à la fin de la première décennie du premier siècle du troisième millénaire. Nous venons d’entrer dans cette deuxième décennie, les années 10 après les années 00. Si c’est une bande-son pour les années 90, comment décrire les années 00 ?
HR
C’est curieux parce qu’effectivement ces fameuses années 00 pour bon nombre de gens, même inconsciemment, c’était comme une remise à zéro du compteur. Moi, curieusement, ça m’a incité à mettre en place des choses que je me refusais peut-être à faire avant. Il y a toujours un moment, lorsqu’on débute où on laisse de côté des choses plus intimes et plus profondément enfouies en soi, au profit d’autres qui sont peut-être plus faciles, par manque d’assurance probablement. Maintenant je m’en fous. (Rires.)
Depuis une petite dizaine d’années, je me sens beaucoup plus libre de faire les choses que je me refusais de faire avant. Peut-être parce que j’avais plus de difficultés à les exprimer, peut-être aussi que j’ai mûri, tout simplement. Ces années 00 seraient donc aussi la prise de conscience d’une certaine maturité ? Aïe…
HUO
Je suis curieux de savoir comment tu vois le futur, comment tu vois les années 10 ?
HR
Je me projette très rarement dans le futur car je suis quelqu’un qui n’aime pas les déceptions. En même temps pour moi le futur est toujours antérieur. Chaque seconde, c’est le futur. Je ne suis pas dans une anticipation, je suis plutôt dans une réaction immédiate.
HUO
Ça nous amène à la toute dernière question. Comme disait Boetti, souvent les projets d’artistes les plus impressionnants restent non réalisés car ils sont invités à faire des choses très formatées, à faire des expositions de musées, de galeries, des foires d’art, des commandes publiques, parfois des biennales. Il y a des projets qui ne sont pas casés dans ces catégories données. J’étais donc curieux de savoir quels sont tes projets qui étaient trop grands ou trop petits pour être réalisés, voire même censurés comme en politique. Comme on dit souvent, les projets les plus importants d’artistes, d’écrivains, sont en fait les projets auto-censurés, les projets où, tout bêtement, on n’ose pas.
HR
C’est vrai et c’est étonnant que tu parles de Boetti parce que c’est quelqu’un qui m’a beaucoup marqué mais je l’ai rencontré que trop peu de temps avant sa disparition. Nous avons été assez proches rapidement et sommes entrés, comme on dit, en sympathie. Alighiero me parlait de son rôle d’artiste et effectivement de la façon qu’il avait de faire des projets ou pas, de se débattre dans cet univers-là. Il racontait souvent des histoires sous forme d’ellipses. Peut-être que certaines routes, qui ne sont pas encore construites, mèneront aux mondes que j’évoquais précédemment. J’aimerais arriver à faire comme Gulliver, de toutes petites choses dans de très grands espaces, de très grandes choses dans de tous petits espaces, comme en chimie, de ne pas me priver d’expérimenter.
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