Sous l’apparente neutralité et la rigidité d’une couverture de carton gris, Toon, s’ouvre paradoxalement à une œuvre bouillonnante. Déflagrations de couleurs, explosions de formes et de techniques, comme autant de manifestations de la pluridisciplinarité sans cesse renouvelée qui depuis toujours caractérise la pratique artistique de Hugues Reip.
Le livre édité en 2002 par la Villa Saint Clair, réuni des éléments conçus entre 1992 et 2002 sous le générique Toon, qui rassemble sous son appellation tout un répertoire d’œuvres en deux ou en trois dimensions faisant appel à une large gamme de médiums et de supports diversifiés. Au-delà de l’éventail d’applications qu’il inventorie, le livre Toon devient le support tangible de la vaste épopée migratoire de cette production générique, et nous laisse percevoir une facette du travail préparatoire ordinairement peu mis en valeur par l’artiste. Les temps forts de Toon cohabitent alors avec les coulisses de leurs diverses ascensions, sans hiérarchie aucune, se présentant à nous sous leur forme fragmentaire, dans leur apparat d’un presque rien. Évitant tout effort de sublimation, Toon n’a ainsi jamais hésité à décliner sous l’apparence de ses « modestes effractions », de ses formulations parfois élémentaires, une énergie puissante, une force d’ébranlement et d’ironie, ainsi qu’une proximité au monde immédiate qui passe par un regard toujours léger, et non pas lourdement posé ou porté sur les choses. Sur le modèle presque du carnet, le livre au titre éponyme s’attache aujourd’hui à spatialiser ce travail faussement modeste qui n’eut de cesse de migrer, de s’épancher, d’opérer d’incessantes mutations de sa forme propre, pour produire une œuvre qui s’avéra aussi détonante que confondante. Il retrace un parcours irrégulier, une trajectoire oblique, jouant sans cesse sur les écarts. Il pointe le caractère transitoire des diverses tentatives à la fois légères et périlleuses, qui constituèrent cette production dont les liaisons formelles autant que digressives se confondent ici à la variété originelle de chaque image, comme pour souligner l’incessant glissement, déplacement, d’une technique à l’autre, d’une image à l’autre, d’une échelle à l’autre. Toutes les directions semblent alors envisageables. Aucune ligne de force ne venant affirmer une autorité quelconque sur l’un ou l’autre des différents médiums utilisés. Du dessin presque automatique, de ses formes géométriques, à cette image de clown et à sa mise en volume en carton coloré. De la peinture à la photographie, de l’image numérique à l’amas de ballons « tubes » noués pour donner corps à des formes animales ou végétales enchevêtrées. De l’abstraction géométrique, d’un constructivisme sans prétention et dégagé de ses ambitions utopiques, à une esthétique pop empruntant plutôt au divertissement. Des vues de l’exposition à l’École Supérieure des Beaux Arts de Lyon, à celles de l’artiste à l’œuvre, en plein montage d’exposition. Ou encore du motif d’une montre, à celui d’une enveloppe pour préservatif co-signés Agnès b. Le livre Toon met l’accent sur la grande liberté que s’est octroyé l’artiste, en se plaçant là où il n’est pas sensé être, là où on le l’attend pas. Il perpétue ainsi le doute quant à la finalité attendue de l’œuvre, en ne privilégiant aucune forme définitive de ses multiples facettes, et en confrontant ici les associations, les dérives, les détours, les fragments, l’image fortuite, l’image trouvée, jusqu’à ne plus faire de distinction entre l’objet spécifique et sa trajectoire. En mélangeant les chronologies, les espaces, les expositions, il semble invoquer le mouvement discontinu et prolifique, l’action presque spontanée, comme mode opératoire spécifique de cette période d’activité. Plus que la recherche d’un achèvement manifeste, se dessine alors les contours d’une attitude presque indéterminée, d’une instabilité fondatrice, visant le croisement, la rencontre des pratiques, des postulats, des domaines spécifiques, dans un mouvement toujours papillonnant. Modèle d’un suspens créatif, entre lévitation et implosion, cette production générique semble avoir toujours fonctionné dans un double rapport de rétention et d’expansion, de contraction et d’accroissement. L’espace propre au livre a su jouer de cette complexité, par les écarts d’échelle, les gros plans sur des fragments d’images, leur amas, leur superposition. Images qui par ailleurs semblent bien souvent reconsidérer leur mise en espace, en contestant leurs périphéries ou leurs étendues propres, en niant les bords de page pour provoquer d’autres itinéraires, défiant ainsi la logique d’un enchaînement rigide, auquel elles substituent volontiers une incertitude légèreté….
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