Le Cirque, 2021 22 impressions numériques sur polyester. 270 x 200 cm (chaque) - ©photo M.Domage |
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Digitree, 2021 Empreintes digitales en céramique (raku), métal, bois de cericier et de sycomone. 72 x 42 x 35 cm - ©photo M.Domage |
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Flightree, 2021 Plâtre, calcite, hyménoptères et bois de comouiller. 46 x 24 x 22 cm - ©photo M.Domage |
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Coraltree #2, 2021 Lave et branche de corail, 21 x 18 x 11 cm ©photo M.Domage |
Streetree #2, 2021 Objets divers, minéraux (galène, hémathie, lignite, pyrite, quartz), bois de noisetier et de noyer, 33 x 28 x 19 cm - ©photo M.Domage |
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Lemontree, 2021 Citrons déshydratés, aluminium, laiton, bois de charme, de cerisier et de frêne, 95 x 110 x 60 cm - ©photo M.Domage |
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Tintree, 2021 Étain et bois de noisetier, 43 x 26 x 11 cm - ©photo M.Domage |
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Coraltree #1, 2021 Bombe volcanique et branche Mirrortree, miroir acrylique et bois de sureau, de corail, 18 x 12 x 10 cm |
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Mirrortree, 2021 Miroir acrylique et bois de sureau, 48 x 32 x 15 cm - ©photo M.Domage |
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Underwater Moonlight, 2011 Plastique thermo- malléable, peinture phosphorescente, laiton et lumière de Wood, dimensions variables. - ©photo M.Domage |
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The Eyeland, 2018 Branches d'acacia, métal, fleurs artificielles, terre, ampoules et impression numérique sur globe en verre, 315 x Ø 210 cm - ©photo M.Domage |
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Vues de l'exposition Eyeland au MASC, musée d'Art moderne et contemporain des Sables d'Olonne, a été présentée à l'abbaye Saint-Jean d'Orbestier et à l'abbaye Sainte-Croix. Du 27 juin au 26 septembre 2021 |
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Hugues Reip, des mondes autres Anomal ou anormal ? La langue a des subtilités sémantiques qui ne peuvent que dérouter l'esprit. À considérer tout ce qui relève de l'anormalité, le qualificatif d’anormal semble à l'évidence lui correspondre le plus naturellement qui soit. Mais quid alors de la différence avec celui d’anomal, qui distingue toute anomalie ? À s’en tenir aux définitions du Petit Robert, on apprend avant toute autre chose que si anormal désigne tout ce « qui n’est pas conforme aux règles générales ou aux lois reconnues », le terme d'anomal réfère quant à lui à ce qui est « aberrant, hors de l'ordinaire ». Où les deux mots concordent, c’est dans l’emploi qui en est fait dans le monde médical. Autant dire dans le monde du vivant, voire de l’organique. En fait, rien n’est jamais vraiment simple avec la langue parce qu'elle n'est pas une production naturelle mais un artefact, à l’égal de n’importe quelle autre construction mentale. Placer en amont ces quelques éléments de langage, c'est vouloir inscrire la démarche de Hugues Reip à l'ordre d'une procédure hors champ de tout attendu, sur un territoire singulier qui cultive allègrement l’artefact. L’art de cet artiste est en effet requis par le bizarre, l'étrange et l'incongru et s'applique à la révélation de toutes sortes de mondes autres, parallèles, où le merveilleux le conjugue au faux-semblant, l’improbable au fantastique, l’extraordinaire au surréel. Son univers est nourri tout à la fois d’une relation amoureuse de la nature, d’une fascination pour l’image et de son intérêt pour tout ce qui rompt avec les conventions et les usages. Ses œuvres en appellent à toutes sortes de dispositifs et de matériaux, mélangent avec bonheur éléments naturels et artificiels, jouent des rapports d'échelles pour subvertir notre regard et nous entraîner dans les abysses de son imaginaire. Sa façon de composer ou de faire surgir ici et là tout un monde de paysages impensables, miniatures ou galactiques, tour à tour enchanteurs ou troublants, faits de projections, de pièces rapportées, de collages ici, d'illustrations aimantées là, en un mot d'un bric-à-brac insatiable, acte une disposition créative qui se joue de toute considération rationnelle et de toute doxa exclusive. Il y va d’une fantaisie sans borne qui n'a de règle que le pur plaisir de l'invention plastique, de méthode que le choc de l'hybride et de finalité que l’instruction d’une poétique. Le monde de Hugues Reip est totalement décalé et c'est cela qui fait son enchantement. Dans la grande tradition livresque d’un Jonathan Swift, plastique d’un Max Ernst, cinématographique d'un Miyazaki, sa démarche est une invitation à la réflexion sur notre rapport à la nature, à notre environnement, voire sur notre comportement à leur égard. Dessins, photographies, sculptures, objets, installations, films d’animation, etc., l’inventaire formel de l’œuvre de Hugues Reip est à l’écho d’une époque qui fait la part belle au mélange des genres, interrogeant le statut même de l’œuvre, sa nature et sa fonction. Également sensible à toutes les strates d'une histoire passée, qu’il jette son regard du côté de la Renaissance, de la modernité ou du postmodernisme, l'artiste est tout autant ému par la magnifique Touffe d’herbe aquarellée de Dürer que par les dessins au noir d'Odilon Redon, par les rêves en boîte de Joseph Cornell que par les peintures au grouillement monocellulaire du Suédois Öyvind Fahlström. Le monde de Reip offre ainsi à voir toutes sortes de saynètes où les formes se transforment les unes dans les autres, où s'entremêlent les règnes animal, végétal et minéral et où se confondent les mondes marin, céleste et terrestre. Il défie en permanence toutes les tentatives de catégorisation, empruntant pêle-mêle à l'histoire, à la littérature, au cinéma, à la bande dessinée, à la science-fiction, au symbolisme, au surréalisme, au pop art, voire à la musique rock. Au travail, Hugues Reip revendique le fait que son atelier est bien plus dans sa tête qu'en n'importe quel point fixe. Qu’il n’en a donc pas une pratique régulière mais ponctuelle en fonction des projets à réaliser. En revanche, il porte toujours un carnet sur lui car « c’est là où ça se place », comme il dit, lui permettant de retenir l'idée qui surgit, sous quelque forme que ce soit – un dessin à l’emporte-pièce, un simple mot qui passe, une note un peu plus déliée, etc. Ce sont autant d'indications d'œuvres en puissance qui trouveront ou non une formulation, se combineront possiblement entre elles, attendront parfois des lustres avant de prendre forme. Elles lui servent notamment depuis 2016 à nourrir un compte Instagram, passant ainsi de l'espace intime du carnet à celui public des réseaux sociaux. Point commun, la démarche de Hugues Reip ne repose pas sur une dialectique programmatique, un canevas préétabli, il se laisse plus volontiers porter par les hasards du travail, de ses lectures, de son regard, bref par l’existence au jour le jour, aussi son œuvre se présente- t-elle comme la somme de fragments de vie. De cette tranquille effervescence à mettre au monde l’univers proprement fabuleux qui est le sien, l’exposition de Hugues Reip aux Sables d'Olonne est articulée en deux temps qui procèdent – comme c’est souvent le cas chez lui - de la prise en compte de l'esprit des lieux. D’une part, l’ancienne église de l’abbaye Saint-Jean d'Orbestier, dont la découverte l'a immédiatement dirigé vers la dizaine de petites niches creusées dans l’appareil de pierres de l’édifice ; de l'autre, le cloître réaménagé en Croisée du musée de l'abbaye Sainte-Croix dont les arches lui sont aussitôt apparues comme en écho architectural à ces dernières. Il ne lui fallut pas plus de temps dès lors pour imaginer comment s'immiscer dans ce double écrin patrimonial. Dans chacune des niches d’Orbestier, les petites compositions que l'artiste y a placées ponctuent le cheminement du visiteur depuis l'entrée de la bâtisse jusqu’au chœur. Faites d’arbrisseaux ou de pierres sur lesquels s'accrochent des insectes, des objets, des végétaux ou des fruits, elles semblent surgir là, dans les creux de l'architecture, on ne sait comment, ni depuis quand, comme autant de petits tableaux composites et factices, en parfaite harmonie avec la beauté minérale de l'architecture. Seul, au beau milieu de la nef, un arbre se dresse fait d’un jeu de branches hybrides, aboutées les unes aux autres, auxquelles sont suspendues des fleurs artificielles, rapportées, comme poussant tête en bas. Emblématique de l’art de Reip, cette forme de sculpture, par ailleurs surplombée par un globe lumineux, participe à créer une atmosphère d'étrangeté familière caractéristique de son esthétique du merveilleux. Balancés par l'air ambiant, les nombreux voiles que Hugues Reip a tendus à l'intérieur de chacune des arches de la Croisée sur les trois côtés de la galerie pourtournant l'ancien cloître révèlent dans leur mouvement les fragments imprimés d’un immense paysage. Il y va de la vision d'un lieu innommable, mystérieux, dont la première vue renvoie à quelque chose d'un site mémoriel, aux allures d'un immense tumulus étendu de tout son long. Un lieu rêvé, archétypal de l'idée d'un paysage sans âge, sans que l'on ne sache rien de ses origines, directement issu de l'imaginaire de l'artiste, créant ainsi un lien subtil entre les deux abbayes. En exergue aux Fleurs du Mal, Charles Baudelaire s'adresse « Au Lecteur » pour le prévenir de ce que « Dans la ménagerie infâme de nos vices / Il en est un plus laid, plus méchant, plus immonde ! [...] / C'est l’ENNUI ! ». Hugues Reip raconte justement que c’est l’ennui qui est à la source de son travail. Enfant, comme il passait toutes ses vacances à la montagne chez ses grands-parents, il n'avait rien trouvé de mieux pour se sortir de l'ennui qui s'était installé en lui, que de s'adonner à une contemplation du monde de la nature. Et rien ne le passionnait tant que regarder, des heures durant, « une petite feuille trembler au vent, regarder une chenille traverser un champ, des petits cailloux, me plonger dans ces micro-univers ». À ce même exercice, l’artiste nous invite aujourd’hui. Philippe Piguet, commissaire de l'exposition |